Friday, July 16, 2010

Ma Mort (Sartre, L'être et le Néant)

Sartre, L’Etre et le Néant.
Quatrième Partie : Avoir, Faire et Etre.
Chapitre Premier : Etre et Faire : la Liberté.
II. Liberté et Facticité : la Situation.
E) Ma Mort (pdf).

Janus Bifrons
.Conception réaliste de la mort : adhérant au néant d’être qui limite la vie ; porte ouverte sur le néant de réalité-humaine, que ce néant fût la cessation absolue d’être ou l’existence sous une forme non-humaine ; contact avec le non-humain ; échappe à l’homme et le façonne avec de l’absolu non-humain (576).
.Objection : même si la mort était un passage à un absolu non-humain, elle n’est pas une lucarne sur cet absolu. La mort ne nous révèle rien que sur nous-mêmes et d’un point de vue humain (578).
.Conception idéaliste de la mort : agglutinée à la série qu’elle termine ; terme ultime appartenant à la série ; fin de la vie qui s’intériorise, s’humanise et s’individualise (mienne); phénomène ultime de la vie qui influence à contre-courant la vie entière ; Rilke, Malraux, Heidegger (577).

Heidegger
.Le Dasein est projet et anticipation de sa propre mort comme possibilité de ne plus réaliser de présence dans le monde. La mort est une possibilité propre du Dasein qui se constitue lui-même comme totalité par le libre choix de la finitude (577).
.M.H. individualise la mort et utilise cette individualité incomparable pour individualiser le Dasein : c’est en se projetant librement vers sa possibilité ultime que le Dasein accédera à l’existence authentique et s’arrachera à la banalité quotidienne pour atteindre à l’unicité irremplaçable de la personne (578).

Personnalisation
.Aucune vertu personnalisante qui soit particulière à ma mort (579).
.Non-spécificité de la mort comme possibilité ultime et subjective : ma mort est comme chacune de mes possibilités : ne peut être projetée par un autre que moi ; l’amour le plus banal est comme la mort : irremplaçable et unique (579).
...Trivial : ne concerne pas ma mort mais mon vécu de ma mort qui, en tant que vécu est trivialement et irréductiblement mien.
.Non-spécificité de ma mort comme acte : si mourir c’est mourir pour édifier, pour témoigner, pour la patrie, n’importe qui peut mourir à ma place (579).
...Faux : la mort comme acte, du point de vue de sa fonction, efficience, résultat, ne concerne pas seulement et pas prioritairement ma mort pour les autres mais ma mort pour moi dans le sens de ma mort pour mon propre corps par lequel, irréductiblement, je meurs. Ma mort comme acte pour les autres n’est pas structurellement mienne. Ma mort comme acte pour moi l’est.
.La mort ne devient ma mort que si je me place déjà dans la perspective de la subjectivité : c’est ma subjectivité, définie par le cogito préréflexif, qui fait de ma mort un irremplaçable subjectif et non la mort qui donnerait l’ipséité irremplaçable à mon pour-soi (579).
...Sartre réfute la priorité (quotidienne et inauthentique) du On sur le Je. Si Heidegger place de prime abord le Dasein dans le On, il lui faut trouver un opérateur par lequel il peut s’en extraire. Ce serait la possibilité absolument mienne de la mort. La réponse de Sartre pour qui la mort n’est ni plus ni moins mienne que l’amour présuppose la subjectivité et considère la mort d’un point de vue existentiel.
...Sartre pose que la mienneté n’est que subjective. Il considère la mort comme un vécu – et elle est alors trivialement mienne – et la mort comme un acte – et elle ne serait alors pas structurellement mienne. Mais ma mort est, au niveau le plus basiquement factuel, un évènement corporel qui ne peut être que mien, indépendamment du vécu de ma mort par moi-même et les autres.
.La mort ne saurait être ma possibilité propre ; elle ne saurait même pas être une de mes possibilités (585).

Attente
.Indétermination de la mort qui peut survenir à toute heure. On peut attendre une mort particulière, mais pas la mort (578). La structure essentielle de la mort ne suffit pas à faire d’elle cet évènement personnalisé et qualifié qu’on peut attendre (579). S’attendre à la mort n’est pas attendre la mort. Nous ne pouvons attendre qu’un évènement déterminé. La possibilité de ma mort signifie seulement que je ne suis biologiquement qu’un système relativement clos, relativement isolé, elle marque seulement l’appartenance de mon corps à la totalité des existants ; elle est un empêchement imprévu, inattendu, dont il faut toujours tenir compte, en lui conservant son caractère spécifique d’inattendu (580). Le hasard, en décidant de la mort, lui ôte tout caractère de fin harmonieuse. Cette perpétuelle apparition du hasard au sein de mes projets ne peut être saisie comme ma possibilité, mais au contraire comme la néantisation de toutes les possibilités, néantisation qui elle-même ne fait plus partie de mes possibilités (581).
.La mort n’est pas ma possibilité de ne plus réaliser de présence dans le monde, mais une néantisation toujours possible de mes possibles, qui est hors de mes possibilités (581).
...Deux questions différentes : est-ce que la mort est structurellement mienne / est-ce que la mort est à portée de mon pouvoir, est une possibilité mienne. La première question porte sur le fait que la mort, quelque soit la manière dont elle arrive, est mienne ou non, et en quel sens. La seconde question porte sur la manière dont la mort arrive.
...Pour M.H. la mort serait une possibilité mienne comme un pouvoir-être propre, un « je peux » ≠ possibilité comme une appropriation a posteriori de quelque chose qui est et est arrivé indépendamment de moi (par qq’un d’autre ou par hasard). Pour M.H. la possibilité est un pouvoir-être, à mettre au compte de l’existence. La possibilité absolument mienne qu’est la mort est donc un « je peux être » par contraste avec un qqchose qui m’arrive (même si ça ne peut arriver qu’à moi). M.H. place donc la mort au sein de mes possibilités, comme possibilité insigne. Ici Sartre réfute cette conception de la mort comme mode d’être (guise d’exister) et place ma mort hors de mes possibilités.
...Deux critiques de Sartre : la mort n’est pas structurellement mienne + la mort n’est pas une possibilité ultime d’être mais une néantisation de mes possibilités (elle m’arrive de manière indéterminable, même si, en tant que ma mort, elle ne peut arriver qu’à moi).

Absurdité
.La mort n’est pas un « accord de résolution » au terme d’une mélodie (578). Pour Leibniz, nous sommes libres, puisque tous nos actes découlent de notre essence. Il suffit cependant que notre essence n’ait point été choisie par nous pour que toute cette liberté de détail recouvre une totale servitude : Dieu a choisi l’essence d’Adam. Inversement, si c’est l’arrêt du compte qui donne son sens et sa valeur à notre vie, peu importe que tous les actes dont est faite la trame de notre vie aient été libres : le sens même nous en échappe si nous ne choisissons pas nous-mêmes le moment où le compte s’arrêtera. Puisque la mort ne paraît pas sur le fondement de notre liberté, elle ne peut qu’ôter à la vie toute signification (583). C’est parce que le pour-soi est l’être qui réclame toujours un après, qu’il n’y a aucune place pour la mort dans l’être qui est pour-soi (585).

En-soi
.Je ne suis mes possibilités que par néantisation de l’être-en-soi que j’ai à être, la mort comme néantisation d’une néantisation est position de mon être comme en-soi. Lorsque le pour-soi cesse de vivre, il s’abîme dans l’en-soi. Ma vie toute entière est : elle a cessé d’être son propre sursis et elle ne peut plus se changer par la simple conscience qu’elle a d’elle-même (585).
...Comparer avec M.H. pour qui la mort du Dasein n’est pas simplement sa transformation en sous-la-main, de par la relation d’autrui au mort. Ensuite, cependant, il laisse le point de vue d’autrui de côté, pour considérer la mort propre du Dasein. Il dira que la relation à la mort de l’autre – et donc la relation des autres à la mort du Dasein propre – est inauthentique en ce qu’elle la recouvre, la fuit, se rassure. Mais il ne revient pas sur le fait que pour soi, la mort est un passage de soi à la chose sous-la-main.

Pour-autrui
.La mort est le triomphe du point de vue d’autrui sur le point de vue que je suis sur moi-même (585).
.Lorsque la vie est morte, seule la mémoire de l’autre peut empêcher qu’elle se recroqueville dans sa plénitude en soi. La caractéristique d’une vie morte, c’est que c’est une vie dont l’autre se fait le gardien (586).
.La vie décide de son propre sens, parce qu’elle se définit comme un « pas-encore », elle est comme changement de ce qu’elle est. La vie morte ne cesse pas de changer, même si elle est faite. Elle subit ses changements sans en être aucunement responsable. Transformation radicale : rien ne peut plus lui arriver de l’intérieur, mais son sens ne cesse point d’être modifié du dehors. La mort représente une totale dépossession (588).
.L’existence même de la mort nous aliène tout entier, dans notre propre vie, au profit d’autrui. Etre mort, c’est être en proie aux vivants. Cela signifie que celui qui tente de saisir le sens de sa mort future doit se découvrir comme proie future des autres (588).
.Vivant, j’échappe sans cesse à mon dehors et je suis sans cesse ressaisie par lui sans que « dans ce combat douteux » la victoire définitive appartienne à l’un ou l’autre de ces modes d’être. Ma mort donne la victoire finale au point de vue de l’autre (588).
.Mon existence d’après la mort n’est pas la simple survie spectrale, « dans la conscience de l’autre », de simples représentations, souvenirs. Les morts sont des êtres objectifs et opaques, qui sont réduits à la seule dimension d’extériorité (589).
.La mort telle que je peux la découvrir comme mienne engage nécessairement autre chose que moi. Elle ne saurait donc appartenir à la structure ontologique du pour-soi (589).

Contingence radicale dans la mort
.En tant qu’elle est le triomphe de l’autre sur moi…
...M.H. La mort est triomphe de moi sur l’autre.
.La mort renvoie à un fait fondamental mais tout à fait contingent : l’existence de l’autre. Nous ne connaîtrions pas cette mort si l’autre n’existe pas. C’est à cause de l’autre que ma mort est ma chute hors du monde, à titre de subjectivité, au lieu d’être l’anéantissement de la conscience et du monde.
.Cette contingence radicale soustrait la mort à toutes les conjectures ontologiques. Méditer sur la vie à partir de la mort, ce serait méditer sur ma subjectivité en prenant sur elle le point de vue de l’autre. Pas possible (590).

Facticité
.Loin que la mort soit ma possibilité propre, elle est un fait contingent qui, en tant que tel, m’échappe par principe et ressortir originellement à ma facticité. Indécouvrable. Désarme toutes les attentes. Confiée à d’autres (590).
.La mort est un pur fait, comme la naissance ; elle vient à nous du dehors et elle nous transforme en dehors. Facticité : identité de la naissance et de la mort (590).

Finitude
.Il convient de séparer radicalement mort et finitude (590).
.La mort est un fait contingent qui ressortit à la facticité ; la finitude est une structure ontologique du pour-soi qui détermine la liberté. La réalité-humaine demeurerait finie même si elle était immortelle. Etre finie, c’est se choisir en se projetant vers un possible, à l’exclusion des autres. L’acte même de liberté est donc une création de finitude. L’immortel comme le mortel naît plusieurs et se fait un seul (591).

Liberté
.La mort est une limite permanente de mes projets et comme telle cette limite est à assumer. Limite insaisissable et inconcevable de ma subjectivité. Inéluctable nécessité d’exister ailleurs comme un dehors et un en-soi.
.La mort me hante au cœur de chacun de mes projets comme leur envers. Mais cet envers est à assumer non comme ma possibilité, mais comme la possibilité qu’il n’y ait plus pour moi de possibilités : elle ne m’entame pas. Ma liberté ne rencontre jamais cette limite qui est un destin ailleurs. Je suis un libre mortel. La mort échappant à mes projets parce qu’elle est irréalisable, j’échappe moi-même à la mort dans mon projet même. Ma subjectivité ne s’affirme pas contre la mort mais indépendamment d’elle (592).

Authenticité
.Il y a d’innombrable attitude possible face à l’irréalisable « à réaliser » qu’est la mort mais il n’y a pas lieu de la classer en authentique et inauthentique, puisque, justement, nous mourons toujours (592).

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