Sunday, June 6, 2010

Heidegger et l’idéalisme spéculatif

Qu’est-ce que Heidegger oppose à une des thèses fondamentales de l’idéalisme spéculatif postkantien, à savoir la thèse selon laquelle l’être-en-soi devient pour-soi au moyen d'une aliénation et d’un retour effectué à partir d’un tel être-hors-de-soi?

La transition entre le premier et le deuxième Heidegger – médiatisée par son engagement national-socialiste – est un passage entre une ontologie conçue comme fondation et orientation des pratiques ontiques vers une ontologie conçue comme fondation d’une réaction pastorale et d’un retour théologique du divin. L’engagement politique d’Heidegger témoigne – malgré tout – d’une reconnaissance de l’importance d’une transcendance – i.e. d’un changement – proprement ontique. La pensée de l’être est conçue chez le premier Heidegger comme une fondation ontologique d’une historicité ontique (de la même façon que l’ontologie fondamentale constitue le fondement nécessaire des ontiques régionales). Avec le deuxième Heidegger, le gouffre entre l’être et l’étant s’amplifie jusqu’à la dislocation: la pensée de l’être, au lieu d’être requise pour orienter et guider (fuhren) la praxis ontique (théorique, politique, artistique, etc.), demande une immobilité ontico-bucolique. L’événement appropriateur (Ereignis) met en correspondance réciproque le Dasein et l’être. Cette sorte de « transcendance ontologique », cet ekstase vers l’être, est compatible avec un sédentarisme ontique. L’angoisse d’être lancée au gouffre de l’historicité est substituée par la sérénité (Gelassenheit). Seulement un enracinement ontique capable de réduire l’illusion transcendantale – celle du premier Heidegger – selon laquelle la transcendance constitutive du Dasein serait un mouvement ontique, peut ouvrir la possibilité d’une transcendance proprement ontologique. Ce n’est plus le scientifique ou le politicien qui requièrent d’une orientation ontologique, mais le pasteur et le prêtre. L’errement ontico-politique d’Heidegger induit ainsi une retraite dans une pensée de l’être coupée de tout engagement ontique : seulement un dieu pourrait nous sauver. C’est pour cela que sa déception vis-à-vis de l’histoire « ontique » va de paire avec les tentatives de « fonder le commencement d’une autre histoire, cette histoire qui s’ouvre sur le combat où se décidera la fuite ou l’avènement du dieu. » (cité par P. Lacoue-Labarthe, Heidegger. La politique du poème, p. 121). L’histoire ontologico-politique doit laisser sa place à une histoire poématico-théologique. Une transcendance purement ontologique va de paire avec une réappropriation ontique.
Au contraire, chez Hegel la différence ontologique est médiatisée par le paraître. Une expérience « ontologique » n’exige pas de viser le pur il y a de l’étant en deçà de ces propriétés ontiques, mais plutôt de tenir l’étant dans sa manifestation dialectique, i.e. dans son historicité propre. Exister est être-hors-de-soi.

Aliénation (Entfremdung) vs. déracinement (Heimatlosigkeit). L’aliénation, comme le soutient Freud, est constitutive du sujet. La réappropriation de la synthèse dialectique n’est pas une relève de l’aliénation, mais plutôt la production d’une consistance subjective, c’est-à-dire une façon de tenir ensemble un multiple inconsistant (i.e. une synthèse disjonctive).

Différences entre la relève spéculative du kantisme et la relève heideggérienne :

Idéalisme allemand : la finitude est la condition de possibilité d’une potentialisation infinie. Coalescence entre le fini et l’infini.

Heidegger : la finitude est la condition de possibilité de la scission théologique entre le fini et l’infini. Heidegger reste en dernière instance fidèle à la coupure noumène-phénomène. Pour cela, il fallait des-epistémologiser une telle coupure. Chez Heidegger, la coupure noumène-phénomène devient une coupure ontologique (être-étant, pensable-monstrable/poetisable, mortels-divins).
Si l’idéalisme allemand est une pensée de la continuité et de la médiation (voire une pensée de l’immanence), le criticisme heideggérien est une pensée de la scission non-médiatisable (voire de la transcendance).

Hegel: l'absolu est auprès de nous.

Heidegger: le Dasein est dans la vérité (S&Z, 256).

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