Friday, June 25, 2010

Requiem

« J’ai des morts, et je n’ai pas voulu les retenir,
et je fus étonné de les voir si tranquilles,
si vite chez eux dans l’être-mort, si légitimes,
si différents de ce que l’on croit.
… »






« Notre effroi quand tu mourus, ou cette interruption que fut
pour nous ta mort vigoureuse, non, ce n’est rien de tout cela :
cela, c’est notre affaire ; y mettre ordre sera
la même tâche que nous accomplissons avec tout.
Mais que toi-même, tu aies été saisie d’effroi, que maintenant
encore, tu connaisses la peur, là où la peur n’a plus cours
;
… »







« Alors un hasard t’emporta, ton ultime hasard,
t'arrachant au point extrême de ton avancée pour te ramener
vers un monde où les sèves
veulent.
Il ne t’emporta pas toute entière ; il n’arracha d’abord qu’une parcelle,
mais quand autour de celle-ci, jour après jour,
la réalité s’accrut, au point de la rendre pesante,
alors tu eus besoin d’être là toute entière : et tu partis alors,
te soustrayant à la
Loi, fragment par fragment,
péniblement : parce que tu avais besoin de toi-même. Alors
tu te défis, bêchant la terre de ton cœur
pour reprendre à sa chaude nuit les semences encore vertes
d’où aurait dû germer ta mort : la tienne,
ta mort à toi, pour la vie de nulle autre.
Et tu les as mangées, les graines de ta mort,
»


Rainer Maria Rilke. Requiem. Pour une amie (1908).
Illustration: Alexandre Hollan.

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